Évangile selon Saint Marc 6, 7-13
Vous envoyez Vos douze apôtres, deux par deux, leur disant de ne rien emporter avec eux que leur seul bâton : ni souliers, ni pain, ni argent, mais seulement des sandales, et point de tunique de rechange… Merci, mon Dieu, de nous donner cet enseignement, cette règle de vie… Merci d’avoir envoyé ainsi Vos apôtres, et de leur avoir donné cette prescription pour augmenter leur foi, pour leur montrer le dédain que l’apôtre doit avoir pour les choses matérielles, la pauvreté dans laquelle doit vivre celui qui prêche l’évangile et combien la seule chose qui remplit son esprit et son cœur, doit être le zèle des âmes… Merci de cette divine leçon, ô mon Dieu !
Oui, c’est là les enseignements qu’il faut tirer de ce passage… C’est dire qu’il faut y appliquer ces paroles : « La lettre tue, l’esprit vivifie »… Il faut distinguer ici les règles générales pour tous les temps et tous les lieux, des prescriptions données dans un cas particulier et pour une occasion déterminée seulement… Il faut aussi, en étudiant ce passage, se souvenir que la grande règle d’interprétation des paroles de Jésus, c’est Ses exemples : Il est Lui-même le commentaire de Ses paroles ; a-t-il toujours accompli telle prescription ? Cela indique que c’était une prescription ; ne l’a-t-Il que rarement ou jamais appliquée ? Cela montre que c’était un ordre particulier qui ne concernait qu’une circonstance spéciale… Quand Il a toujours fait Lui-même ce qu’il prescrit, il faut le faire toujours aussi, c’est une loi générale, loi ou conseil… Quand Il ne l’a point fait ou point toujours fait, il faut chercher pourquoi, dans quelles circonstances, il a fait cette prescription, ce qu’il a voulu en la faisant ; et il faut le faire dans les circonstances analogues, ne pas le faire dans les autres où Il ne l’a pas fait… Le faire quand on y trouve les biens qu’il a voulus, ne pas le faire quand on ne les y trouve pas ou qu’on y trouve mêlés des inconvénients qui Lui auraient fait y renoncer… Mais même alors continuons à chercher les biens qu’il a eus en vue, et tout en quittant la lettre qui, dans l’esprit de Jésus, ne s’applique pas à la circonstance présente, restons fidèles à l’esprit qui est de tous les temps et de tous les moments. Dans le cas présent, nous voyons que Jésus prescrit des choses qu’il n’a, non seulement pas toujours, mais pas habituellement, peut-être jamais pratiquées Lui-même. D’être sans argent dans les courses apostoliques : nous savons qu’il vivait des aumônes des saintes femmes, qu’il y avait une bourse commune pour Lui et les apôtres et que Judas en était chargé… De ne point emporter de pain : nous voyons que Notre Seigneur en faisait emporter par ses apôtres… Ce n’est donc pas une règle générale que tracent les paroles ci-dessus, mais une prescription temporaire, indiquant ce que les apôtres devaient faire dans une circonstance seulement, ou dans certains cas particuliers seulement… Mais ce qui est éternel, ce que Jésus a toujours pratiqué, ce que les apôtres ont pratiqué en toutes les circonstances, toujours, toujours, c’est les vertus que Jésus a en vue de développer dans les apôtres par ces prescriptions passagères : c’est la confiance absolue en Dieu (Il leur dira un jour : « Vous a-t-il manqué quelque chose quand je vous ai envoyés sans argent ? — Non — Eh bien ! Ce temps est passé : maintenant que celui qui a une bourse la prenne »…), c’est le désintéressement absolu, la pauvreté volontaire qui va jusqu’à aller sans aucun argent comme dans ce cas particulier, quand on le peut sans scandaliser personne, comme les apôtres, qui dans ces courses en Galilée recevaient partout l’hospitalité chez des amis, des connaissances, ou trouvaient comme tous les pauvres l’hospitalité toujours prête dans toutes les synagogues, selon l’usage juif ; la pauvreté volontaire qui vit, ou d’un humble travail manuel, ou des aumônes des fidèles, quand le temps, employé tout entier à l’apostolat, ne laisse pas le loisir de travailler, et qui dans tous les cas se contente du strict nécessaire, vit de la vie des pauvres, n’a en vêtements, nourriture, argent, logement, mobilier, que ce qu’ont les pauvres, ce que peuvent avoir de pauvres ouvriers ; le zèle des âmes en vue de la gloire de Dieu, qui seul remplit l’âme des chrétiens, laquelle, attachée à Dieu, le souverain bien, doit avoir un dédain infini pour tous les biens périssables.
La prescription dont il s’agit n’est donc nullement une règle générale, mais il faut en prendre l’esprit, il faudra même la suivre à la lettre dans certaines circonstances, pour des courses de peu de durée, ou même longues, mais faites en pays amis, chrétiens, où on peut sans scandaliser ni être à charge demander tout le nécessaire autour de soi… En tous les autres cas, il faut faire comme Jésus faisait habituellement, comme d’après l’ensemble des Saints Evangiles nous voyons qu’il ferait à notre place… [1].
« Quand vous serez entrés dans une maison, restez-y sans en sortir»…
Merci, mon Dieu, de ce précepte, contraire aux usages juifs, et qui renferme une leçon de tempérance, de recueillement, de reconnaissance et d’humilité.
Ceci encore est un précepte particulier, ayant trait aux coutumes juives… Il faut donc, pour cette prescription comme pour la précédente, suivre l’esprit toujours, la lettre dans certains cas seulement… Chez les Juifs, quand un rabbin, un prédicateur va dans une bourgade, afin de lui faire plus d’honneur, et pour que l’hospitalité qu’on lui donne ne soit pas trop à charge à un seul, chaque personne un peu riche l’invite à son tour, lui offre à son tour un repas ; de sorte que, pendant tout son séjour, le rabbin ne fait qu’aller de maison en maison, et si les habitants sont à leur aise, de festin en festin… Cela n’est nullement propre à entretenir la tempérance et le recueillement… Jésus veut empêcher cet usage d’exister dans son Église ; Il le prohibe formellement et c’est là ce qu’il défend en disant « N’allez pas de maison en maison. » Dans ce sens, qui est celui de la lettre, le précepte est formel, général, et il faut toujours l’accomplir : c’est la prohibition une fois pour toutes dans l’Église d’un usage établi dans la synagogue… Il faut aussi prendre, non seulement en voyage, mais toujours, l’esprit qui a dicté cette défense ; c’est un esprit de tempérance, de recueillement, de reconnaissance envers les premiers hôtes qui nous ont reçus, et qu’il ne faut pas quitter pour aller festiner chez d’autres ; d’humilité qui veut qu’on reste tranquille, sans bruit, à la dernière place, sans déranger personne, sans occuper de nous le monde, et non qu’on trône dans les festins, aux premières places, jetant autour de soi le dérangement et le bruit… Mais il ne faut pas donner à ce précepte un sens qu’il n’a nullement, en donnant à la lettre une extension qu’elle n’a point, ce qui arriverait, si on voulait, d’après ces mots, empêcher dans tous les cas, les religieux, les prêtres qui ont reçu l’hospitalité dans une maison, d’en changer : comme on l’a dit, les paroles de Notre-Seigneur ont un sens bien déterminé et ne font que prohiber un usage juif, auquel elles font allusion… Ce serait une faute d’interprétation que de leur donner un autre sens… Il faudra donc, dans la pratique, ne point changer de maison, chaque fois que les vertus que Jésus a en vue dans cette prohibition, tempérance, recueillement, humilité, reconnaissance, et d’une manière générale, chaque fois que le bien des âmes y gagnera : mais si, au contraire, la pratique de ces vertus, et en général le bien des âmes demandait que l’on changeât, il faudrait changer sans hésiter ; en cela on obéirait à l’esprit de Jésus, sans s’écarter de l’obéissance à Sa lettre, celle-ci n’ayant trait qu’à un usage de la synagogue, usage particulier n’existant pas parmi les chrétiens [2].
[1] M/199, sur Mc 6,7-9, en C. DE FOUCAULD, La bonté de Dieu. Méditations sur les Saints Évangiles (1), Nouvelle Cité, Montrouge 1996, 127-129
[2] M/200, sur Mc 6,10, en C. DE FOUCAULD, La bonté de Dieu. Méditations sur les Saints Évangiles (1), Nouvelle Cité, Montrouge 1996, 129-131