Évangile selon Saint Jean 14. 23-29
« Je vous laisse ma paix… Que votre cœur ne se trouble pas et ne craigne pas. »
QMon Dieu, que vous êtes bon ! Que nous laissez-vous ? Quel est ce don suprême ? La paix ! .. Vous êtes le Dieu de paix, les prophètes l’avaient prédit… Quand vous paraissez parmi vos disciples, vous leur dites : « La paix soit avec vous » ; au moment de mourir vous leur dites : « Je vous laisse la paix, ma paix, pas celle que le monde donne »… Qu’est-ce donc que cette paix différente de celle que donne le monde ? .. Cette paix, c’est celle que donne votre amour ; la paix du monde, c’est la paix dans l’exemption des souffrances, dans l’exemption des inimitiés, des persécutions, des tribulations ; votre paix, c’est l’indifférence aux souffrances, aux inimitiés, aux persécutions, aux tribulations, à tous les maux sensibles, c’est la paix profonde et surabondante qu’éprouve l’âme qui vous aime au milieu de tous ces maux : « ivre de votre amour, elle ne sent aucune des croix intérieures ni extérieures, comme l’homme ivre de vin ne sent pas les coups », dit saint Bonaventure. « Ne vivant plus en elle-même, mais ayant toute sa vie en vous seul son Bien-aimé », comme dit saint Jean de la Croix, elle ne sent pas les coups qui l’atteignent et jouit délicieusement de la paix ineffable dans laquelle vous régnez… Vous qui « êtes venu porter le feu sur la terre », et dont l’unique désir était de le voir s’enflammer, « Que veux-je, sinon qu’il s’allume ? », votre don suprême, c’est ce feu même et ses effets, c’est l’amour de Dieu et la paix suprême que produit cet amour, la paix supérieure aux souffrances, non la paix sans la guerre, mais la paix malgré la guerre, dans la guerre, au-dessus de la guerre, la paix de l’âme ayant par l’amour sa vie tout entière dans le ciel, et jouissant ainsi de la paix du ciel malgré tout ce qui peut se passer sur la terre autour d’elle ou contre elle.
Entrons dans la paix en entrant dans l’amour de Dieu : l’un et l’autre sont indissolublement liés, la paix est l’effet et le signe de l’amour divin. Cherchons-les, désirons-les tous deux, la paix en vue de l’amour, et l’amour en vue de Dieu… « Ne vivons plus en nous, mais seulement en notre Bien-aimé », et alors rien de ce qui nous atteint ne sera senti de nous, et tout ce qui est le partage de notre Bien-aimé sera le nôtre : nous ne sentirons plus aucune des tribulations terrestres, parce que nous ne vivrons pas en nous et le bonheur dont jouit éternellement notre Bien-aimé nous mettra dans une paix, dans une satisfaction inaltérable… Quand nous aimerons Dieu ainsi, ne vivant plus en nous mais en lui, notre cœur ne se troublera plus et ne craindra plus, car nous ne nous occuperons plus de nous-mêmes, mais de lui seul : que les tribulations pleuvent sur nous, que nous importe, lui, il est heureux !..
Le quatrième degré de l’amour divin, dit saint Bonaventure (Incendie de l’amour) « est l’ivresse spirituelle. Or cette ivresse consiste en ce que l’on aime Dieu d’un si grand amour, que non seulement déjà on dédaigne la consolation terrestre, mais encore que par amour pour Dieu, on ne trouve des charmes, avec l’apôtre, que dans les peines, les opprobres et les tourments ; comme on voit un homme dans l’ivresse se dépouiller sans pudeur, et supporter les coups sans douleur… Le cinquième degré est la sécurité qui naît de l’ivresse. De ce que l’âme, à ce degré, souffre volontiers pour Dieu tout, tout dommage et tout opprobre, elle bannit la crainte et conçoit une si grande espérance du secours de Dieu, qu’elle pense que rien ne pourra la séparer de lui… Le sixième (et dernier) degré est la vraie et pleine tranquillité, dans laquelle l’âme goûte une paix si profonde qu’elle semble endormie… Car, qui peut inquiéter une âme que nul désir n’inquiète et que nulle crainte n’agite. Dans cette âme est la paix suprême[[M/489, sur Jn 14,24-27, en C. DE FOUCAULD, L’imitation du Bien-Aimé, Nouvelle Cité, Montrouge 1996, 221-223.]]» .